Espèces protégées et troubles de voisinage
Jurisprudence : un jugement en appel a considéré que les coassements provoqués par une espèce protégée de batraciens ne constituaient pas un trouble anormal de voisinage, au motif que la destruction, le déplacement ou la privation d'émettre des sons étaient interdits en application de mesures spécifiques de protection.
M. et Mme D., les voisins d'une pièce d'eau, s'estimaient victimes d'un trouble anormal de voisinage occasionné par les coassements d’amphibiens. En 2005, deux constats d'huisser à l'appui, ils se plaignent des nuisances sonores générées par les forts coassements des batraciens. Saisi en référé, le juge du tribunal d'instance de Melun avait condamné les propriétaires de la mare à faire cesser par tous moyens les nuisances sonores (constitutives d'un trouble anormal de voisinage), ainsi qu'à leur payer la somme provisionnelle de 1 000 € en réparation du préjudice subi. Le jugement était fondé fondé sur sur l'article 849 du code de procédure civile (« Le juge du tribunal d'instance peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite ») et sur l'article 1382 du code civil (« Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer »).
En appel, les juges ont pris une décision diamétralement inverse, en estimant que les croassements des grenouilles ne pouvaient en aucun cas être considérés comme constitutifs d’un trouble anormal de voisinage, au motif que la faune incriminée – des grenouilles rieuses et des tritons palmés – était constituée « pour l'essentiel d'espèces protégées dont la destruction, le déplacement ou la privation d'émettre des sons étaient interdits en application de mesures spécifiques de protection ». L’arrêt rendu précise en outre qu'il ressort de diverses pièces du dossier « que les batraciens n'ont jamais été véritablement absents de cette lisière humide de forêt ». Au terme de leur analyse, les juges ont considéré que l'application de l'article 849 du code de procédure civile ne correspondait pas au cas du litige présenté, notamment faire cesser un trouble manifestement illicite. En outre, ils reprochent aux plaignants de ne pas démontrer que les époux C. sont à l'origine des troubles excessifs. Enfin, origine des faits dénoncés étant fixée par ceux qui les allèguent à une époque non récente, les juges d’appel ont estimé que l’urgence n'étant nullement caractérisée, et qu'il n'y avait donc pas lieu à référé.
Cour d'appel de Paris (1ère Chbre, A) n°08/14542 - 8 août 2008